HISTOIRE MEURTRIÈRE DU STADIUM LUMPINEE
HISTOIRE MEURTRIÈRE DU STADIUM LUMPINEE
L’histoire du mythique stadium Lumpinee n’a pas toujours été synonyme de gloire. Dans les années 80, il a même traversé une période particulièrement sombre, marquée par des épisodes sanglants. Plusieurs meurtres par arme à feu y ont été perpétrés, certains au cœur même de l’enceinte.
À cette époque, Bangkok était sous l’influence du plus puissant parrain de la ville, M. Kléo Thanikul, promoteur influent et propriétaire du célèbre camp Sor Thanikul Gym. Une guerre sanglante éclata entre factions rivales, et le Lumpinee devint parfois le théâtre de tragédies mortelles, reflet brutal d’une époque où la mafia et le Muay Thai étaient étroitement liés.
Le 2 avril 1982, un événement d’envergure fut organisé au stadium Lumpinee : un gala de charité intitulé « La Bataille pour la Grande Charité ». Une partie des recettes devait être reversée à l’hôpital Phramongkutklao. Aux commandes de cette soirée exceptionnelle, deux promoteurs de renom : M. Wat Kiat Sompob et M. Song Kanchanutchasak.
Ce soir-là, le stadium était plein à craquer. L’ambiance était électrique, l’attente palpable. Parmi les spectateurs, de nombreuses personnalités influentes avaient pris place : le ministre de l’Agriculture, le ministre des Transports, le directeur de l’hôpital bénéficiaire, ainsi que plusieurs hauts gradés de l’armée thaïlandaise.
Le clou de la soirée était un affrontement au sommet entre deux légendes du ring : Nong Khai Sor Praphatson et Ruengsak Phetchyindee. L’intensité du combat tenait le public en haleine jusqu’à la dernière seconde. Mais alors que le dernier round venait tout juste de s’achever et que les acclamations résonnaient dans l’arène, un événement inattendu fit basculer la nuit dans l’horreur.
Une grenade fut lancée en direction de la tribune où se trouvait Kléo Thanikul. L’explosion fut violente. Elle déchira l’air, soufflant une partie de la structure et blessant de nombreuses personnes. Contre toute attente, Kléo Thanikul s’en sortit indemne — un miracle, diront certains.
Quelques instants plus tard, une seconde déflagration retentit, suivie de coups de feu. La panique s’empara de la foule. Cris, bousculades, chaos total : le Lumpinee, temple du Muay Thai, était devenu un champ de guerre.
L’attentat fit cinq morts et plus de cinquante blessés graves. Parmi les victimes figurent deux figures emblématiques du Muay Thai : Amporn Suwan et Petchdam Muang Surin, anciens champions respectés dans tout le pays.
Les autorités révélèrent rapidement que cette attaque sanglante était une réponse directe à un précédent règlement de comptes. Le 22 octobre 1980, deux proches de Kléo Thanikul avaient été assassinés juste devant le stadium du Ratchadamnoen. Ce jour-là, l’objectif principal était déjà Kléo lui-même, qui échappa de peu à la mort.
Derrière ces violences se dessinait une guerre de pouvoir entre deux hommes : Kléo Thanikul et son ennemi juré, Chaiwat Palangwattanakit, surnommé Gnow Ha Phalang. Tout aussi influent, ce dernier était lui aussi promoteur de boxe et dirigeait le célèbre camp Ha Phalang. Déterminé à éliminer Kléo par tous les moyens, il fut suspecté d’avoir orchestré plusieurs tentatives d’assassinat.
La rivalité sanglante entre Kléo Thanikul et Chaiwat « Gnow Ha Phalang » Palangwattanakit atteignit son paroxysme le 4 mars 1988, lors d’une soirée organisée au stadium du Lumpinee par le célèbre promoteur Songchai Ratanasuban.
Ce soir-là, l’affiche était grandiose : Chamophet Ha Phalang, élu Meilleur boxeur de l’année 1985, affrontait Langsuan Phayuthapum, sacré Meilleur boxeur de l’année 1987. L’ambiance était électrique, le stadium plein à craquer. Mais tout bascula au quatrième round.
Des coups de feu éclatèrent soudainement à proximité du ring. La panique fut immédiate. Une monstrueuse bousculade s’ensuivit, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés. Parmi eux, un spectateur français gravement touché, rapidement évacué à l’hôpital. Des corps jonchaient le sol, abandonnés dans la confusion générale.
Le promoteur Songchai, témoin de la scène, n’eut d’autre choix que de fuir en escaladant les grilles du stadium pour échapper à la folie meurtrière.
Au cœur de cette fusillade, Chaiwat Palangwattanakit, alias Gnow Ha Phalang, fut visé de plein fouet : une balle dans l’œil gauche, une dans le dos, une autre dans le thorax. Transporté en urgence à l’hôpital, il succomba à ses blessures. Officiellement, le crime ne fut jamais élucidé. Officieusement, tout le monde savait : c’étaient les hommes de Kléo Thanikul qui avaient frappé.
À la suite de ce drame, le Lumpinee Stadium fut contraint de renforcer drastiquement ses mesures de sécurité. Des portiques détecteurs de métaux furent installés à l’entrée, marquant la fin d’une époque où la mafia régnait sans filtre dans les coulisses du Muay Thai.
Kléo Thanikul n’a pas grandi dans la soie. Son enfance s’est déroulée dans le quartier de Jasmine Garden, un endroit connu à l’époque pour ses bordels et ses repaires de gangsters. L’environnement était rude, marqué par la pauvreté et la violence. Sa sœur aînée, vendue à Bangkok dans sa jeunesse, fut plus tard ramenée dans leur ville natale, un épisode qui marqua profondément le jeune Kléo.
Adolescent, il apprit à se battre pour survivre. Il monta sur les rings des foires de province sous le nom de combattant de « Thongchai Sit Sing ». Et il n’était pas mauvais — au contraire. Beaucoup pensent qu’il aurait pu faire une carrière solide dans la boxe.
Mais le destin de Kléo bascula lorsqu’il rejoignit une équipe de gangsters. Très vite, il gravit les échelons du monde criminel. Initié aux affaires louches, il développa un instinct redoutable pour le pouvoir et le contrôle. De simple homme de main, il devint chef de gang, puis l’un des plus puissants parrains de Bangkok.
À son apogée, Kléo Thanikul contrôlait la majorité des casinos de la capitale et possédait plusieurs entreprises prospères servant de façade à ses activités souterraines. Il entretenait des liens étroits avec de nombreux politiciens et hauts gradés de la police. Sa réputation dans le milieu était telle qu’on le surnommait : « Le Parrain de la Police Métropolitaine ». Un surnom qui en disait long sur l’étendue de son influence.
Kléo Thanikul a régné sur la promotion des combats au stadium du Lumpinee durant les années 1970 et le début des années 1980. Malgré sa réputation de l’un des criminels les plus influents de l’histoire thaïlandaise, il est encore perçu aujourd’hui comme une figure paternelle du Muay Thai. Il fut l’un des tout premiers promoteurs d’envergure nationale, contribuant à professionnaliser et populariser la boxe thaïlandaise à travers le pays.
Mais son influence ne se limitait pas au Muay Thai : Kléo s’imposa aussi dans la boxe anglaise, organisant de nombreux galas prestigieux dans les deux disciplines. Pour beaucoup, il incarne l’âge d’or du stadium du Lumpinee — une époque trouble, mais légendaire.
Le règne de Kléo Thanikul prit fin dans le sang, le 5 avril 1991. Ce jour-là, sur l’avenue Pinklao Nakhon Chaisi, à Sam Phran, près de Bangkok, son convoi fut pris dans une embuscade d’une violence extrême. Sa voiture, où prenaient également place son chauffeur et ses gardes du corps, fut littéralement criblée de balles.
Les assaillants, lourdement armés, ouvrirent le feu avec des fusils d’assaut M16 et des lance-grenades. Le véhicule explosa sous les impacts, ne laissant aucune chance aux occupants. Kléo Thanikul fut abattu avec une brutalité inouïe : près de soixante balles atteignirent son corps. Une exécution digne d’un règlement de comptes de haut vol, marquant la fin d’une ère dans le monde du Muay Thai…
By Serge TRÉFEU