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INTERVIEW D’ALAIN GERALD LEWIS, PROFESSEUR DE MUAY THAI DU NAKMUAY GYM AU GABON

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INTERVIEW D’ALAIN GERALD LEWIS, PROFESSEUR DE MUAY THAI DU NAKMUAY GYM AU GABON

BY SERGE TRÉFEU (2022)

Bonjour Alain tu peux te présenter aux lecteurs qui ne te connaissent pas ?

Alain Gérald Lewis Mba Bekui, j’ai 34 ans et je suis théologien de formation, j’ai fait mes classes académiques à l’Université Islamique de Médine, en Arabie Saoudite. Martialement, je suis titulaire d’un Khan, élève du Khru Abdurahman Alp Ozdamar

Tu es entraîneur de Muay Thai dans un club au Gabon depuis combien de temps ?

J’ai commencé officiellement en décembre 2021 sous les encouragements des maîtres Makaya, Julson, et Lafont. Toutefois, lorsque je venais au Gabon pour les vacances, je donnais, si je ne m’abuse, des cours de Muay Thaï à quelques jeunes, dont Fred Kudzete actuellement champion d’Afrique de MMA dans la catégorie des 65 Kg

Le professeur Alain Gérald Lewis Mba Bekui avec ses élèves

Comment tu as découvert le Muay Thai ?

Le Muay Thaï, je l’ai découvert par le canal des amis russes, allemands, indonésiens, thaïlandais, saoudiens et afghans. Ils en avaient marre de moi (Rires), parce que je m’entraînais tout seul dans les bois et je fréquentais rarement les autres. Disons que j’étais un peu agoraphobe. Pour me sortir de ma bulle, le Muay Thaï était pour eux le meilleur instrument de socialisation qu’ils avaient en leur possession

Qu’est ce qui t’a attiré dans ce sport ?

Au départ, je n’y voyais rien d’attirant si ce ne sont les souvenirs des films Ong Bak et Kickboxer de Jean-Claude Van Damme. C’est avec le temps, de l’entraînement, les recherches mais surtout la grande sagesse de mon Khru, y compris le rapport que mes amis thaïs avaient avec leur culture, que le Muay Thaï a commencé à prendre de la place dans ma vie. Les thaïlandais sont des gens simples, effacés, armés d’un art martial aussi puissant que le Muay Thaï, ils demeurent des gens humbles. C’est cela ce qui m’a le plus marqué et attiré dans le Muay Thaï et ses valeurs

Est-ce que tu avais pratiqué d’autres sports de combat avant le Muay Thai ?

Pas vraiment, j’ai touché au Full-contact, au Kick boxing, à la Boxe anglaise et au Close-combat. Mais je n’ai jamais mis du temps, préférant m’entraîner tout seul, en autodidacte. Je peux dire que je suis un pur produit du Muay Thaï vu tout ce que j’y mets comme volonté, amour et passion, mon cœur c’est le Muay Thaï

Cela fait combien d’années que tu pratiques le Muay Thai ?

Je fête mes dix années de Muay Thaï, toute l’année en cours (2022). Mais ce que je sais n’est rien face à ce que j’ignore, donc je veux partir de ce monde dans l’apprentissage…

As-tu eu l’occasion de faire de la compétition ?

J’ai fait quelques combats seulement mon Khru a jugé qu’il était mieux pour moi de m’éloigner du circuit de la compétition, sans doute pour raisons académiques. Aujourd’hui, je pense que cela a été un bien pour moi vu mes ambitions on ne peut être au four et au moulin à soi seul

Est ce que tu as déjà été t’entraîner en Thaïlande ?

Non, je n’y ai jamais été mais ça reste un rêve. Le royaume de Thaïlande est le Vatican et la Mecque des Nakmuay d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient. J’ai beaucoup à y prendre et à y apprendre.

Donc, j’en rêve, quoique la Thaïlande je la vive dans les livres, les vidéos et le Muay Thaï. La Thaïlande c’est ma patrie martiale

Comment tu as fait pour acquérir un bon niveau pour pouvoir enseigner, tu es un autodidacte ou tu as reçu le savoir d’un professeur diplômé ?

Tout d’abord, je me refuse à la prétention de croire que j’ai un bon niveau, j’apprends, je veux apprendre, et mon Khru me manque. Au Gabon, chez moi, je le souligne à tous, y compris dans les médias, que j’enseigne par défaut car je ne suis pas encore Khru.

J’ai appris auprès du Khru Abdurahman Alp Ozadamar, diplômé de la Muay Thai and Muay Boran Sports Association

Khru Freddy, qui est bien connu en France, t’apporte quelques conseils dans la manière d’enseigner l’Art du Muay Thai, comment tu l’as connu ?

Je l’ai rencontré sur le net, c’est un espace de rencontre en tous genres, des relations amoureuses, professionnelles, universitaires et martiales y naissent, tandis que d’autres y meurent, ceci pour dire qu’il nous revient de décider de l’orientation que nous donnons à cet outil. Le Khru Freddy, sans remplacer mon Khru, poursuit le travail que mon Khru a commencé sur moi, à savoir mon éducation d’abord martiale, celle du Muay Thaï, mais également mon éducation en qualité d’être humain. J’apprends beaucoup de lui, peut-être ne le sait-il pas lui-même, mais ma sensibilité intellectuelle en est telle. C’est l’une de mes références et je me vois aussi en forme que lui si jamais j’atteins son âge

Khru Freddy Lepine

Tu t’intéresse aussi à l’histoire du Muay Thai, à sa culture, aux traditions ancestrales de cet Art martial ?

Énormément, oui, c’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus important dans le Muay Thaï, je trouve. La Thaïlande dans sa diplomatie et sa géopolitique sportive notamment durant la codification du Muay, a non seulement su préserver son histoire, sa culture et sa tradition mais également, elle a réussi la conciliation entre la sauvegarde, l’affirmation de sa réalité identitaire et l’adaptation au monde contemporain avec toutes ses contraintes culturelles, géopolitiques, économiques et autres. C’est une chose qui suscite tout mon intérêt et mon admiration d’où, comme je disais plus haut, rêver d’un voyage immersif dans notre ancien Siam

Parle-nous de ton club, combien d’élèves tu as et quel est ton style d’enseignement ?

Il s’agit plus d’une association que d’un club. Association Éducative de Muay Thaï, Le NakMuay.

Comme dit précédemment, au niveau local, je suis encouragé par les maîtres Makaya, Lafont et Julson, lesquels me témoignent leur soutien et leur sincérité. Ce sont eux qui m’ont encouragé à créer une association pour promouvoir le Muay Thaï au Gabon et apporter mon expérience à nos compatriotes.

Je suis parti de la rédaction des statuts et règlements intérieurs en juin 2021 pour les raisons administratives que nous connaissons, puis en décembre dernier, 2021 je veux dire, j’ai apporté mon aide dans la préparation des deux combattants, Koba et Mohamed, qui ont participé à un événement martial de MMA au Cameroun. Avec eux le travail était plus accentué sur quelques techniques de Muay Thaï comme les Muay Mat, Sok, Khao, Tei, etc.

Pour ce qui est du nombre des élèves, j’en compte un peu plus de dix pour le moment, j’espère que ce nombre augmentera.

Quant au style d’enseignement, je suppose que vous entendez par là ma méthodologie, outre la préparation physique je commence par les bases. C’est-à-dire, la garde et tout ce que cela comporte à savoir, le positionnement des jambes, le rapport au sol, les déplacements, l’emplacement des bras, la façon rythmique de bouger en suivant le wong pi glong, l’accompagnement musical. Il y a aussi la partie technique en commençant par les noms des différentes techniques de poings, coudes, jambes, genoux, corps à corps, etc. Nous allons vraiment détail par détail, cela demande du travail et de la patience, beaucoup de travail, mais les élèves ne sont pas habitués à ce type de méthodologie. Je les comprends

Les élèves du NakMuay s’entraînent dans leur salle mais aussi souvent à l’extérieur

Est-ce que le Muay Thai est bien développé au Gabon ?

Bien développé, non, pas du tout, il n’était jusqu’alors connu qu’à travers la télévision. Il n’y a pas, que je sache et avec toutes les exigences tant technico-tactiques, procédurales que martiales que cela implique, un Khru digne de ce nom au Gabon. Même moi à qui vous accordez cette interview et pour laquelle je vous témoigne toute ma gratitude, Khru, je ne le suis pas, j’enseigne par défaut, par amour du Muay Thaï, pour partager

Alain Gérald Lewis Mba Bekui avec l’un de ses élèves a été invité à une émission TV gabonaise pour parler du Muay Thai et du MMA au Gabon

Il y a une fédération officielle qui représente ce sport ? Est ce qu’il y a beaucoup de compétitions d’organisées ?

Objectivement, il n’y a rien, si ce ne sont mon association et la récente création d’une ligue de Muay Thaï qui reste à déplorer car les choses n’y sont pas faites selon les règles et les valeurs de notre discipline ni même dans le respect des valeurs des arts martiaux et sports de combat en général.

Enfin soit, le Muay Thaï est encore dans son étape embryonnaire au Gabon et je me bats à la hauteur des capacités pour préserver et transmettre du Muay Thaï ce qu’il est, c’est cela ma lutte, que le Muay Thaï au Gabon soit le même que tous les Nakmuay du monde pratiquent, que dans le Nakmuay gabonais on retrouve des éléments du Korat, du Lopburi, du Thasao et du Chaya

L’actuel champion d’Afrique en MMA en 65 Kg, Fred Kudzete, s’entraîne en Muay Thai au NakMuay Gym avec Alain Gérald Lewis Mba Bekui

Le Muay Thai est t-il beaucoup pratiqué en Afrique Centrale ?

Oui, au Cameroun, en Guinée Équatoriale, dans les deux Congo aussi je crois, mais au Gabon, il est nouveau. Ça me ravie d’en être un pionnier mais en même temps c’est une lourde responsabilité, très lourde responsabilité

Quels sont les combattants importants d’aujourd’hui au Gabon et en Afrique Centrale ?

Pour le moment, je ne connais personne, je suis encore nouveau dans les milieux martiaux du Gabon et d’Afrique Centrale. En dehors de mon jeune frère Ézéchiel Ondo, dans le Muay Thaï au Gabon, je ne connais personne

Est ce que tu connais Aïello Batonon (Né à Libreville au Gabon), un grand champion franco-gabonais de Muay Thai (Champion du monde WPMF, champion d’Europe WPMF, champion de France) ?

Oui je le connais mais pas personnellement, nous avons échangé une ou deux fois en ligne lui et moi

Le professeur Olivier Marion, l’un des pionniers du Muay Thai en France, est resté longtemps au Gabon, il a été instructeur pour les Forces Spéciales Gabonaise, il enseignait la Self-Défense et le Muay Thai, tu le connais ? (Olivier Marion a développé le Muay Thai au Gabon durant des années, il a ouvert 5 clubs de boxe Thai à Port Gentil et 2 clubs à Libreville, il a également formé 15 instructeurs et des instructeurs 1er Khan, Olivier Marion a été nommé président d’honneur de la fédération de Muay Thai gabonaise dont le président est M. Eric Ella !)

Personnellement non, mais on m’a parlé de lui, ça m’aurait plu de pouvoir travailler à ses côtés mais il n’est plus au Gabon

Le légendaire Dany Bill (L’un des 1er champion du monde étranger en Thaïlande, 7 fois champion du monde) qui est franco-camerounais à ouvert un camp de Muay Thai sur sa terre natale à Douala au Cameroun, le Cameroun est voisin du Gabon, est ce que Dany Bill est venu dans ton club ?

Je le connais, c’est un aîné pour qui j’ai une grande admiration et un profond respect, cependant, il n’a pas encore été au Gabon bien que nous en ayons discuté au téléphone lui et moi. C’est un projet, le seul bémol, pour le moment, ce sont les moyens qui me posent problèmes sinon j’aurais invité nombre de personnes connues dans le monde du Muay Thaï, à l’exemple du Khru Freddy, Ekger Mono du Siamyout et bien d’autres

Le légendaire Dany Bill

Quels sont tes projets avenirs pour le Muay Thai au Gabon ?

Avoir un camp pour former les jeunes, en faire un instrument de réinsertion sociale pour beaucoup.

Des projets, il y en a beaucoup mais pour le moment je suis focus dans la formation

Tu veux ajouter quelques choses ?

Aux jeunes pratiquants gabonais que je sais d’une saine naïveté parce que jeunes et passionnés, qu’ils ne servent plus d’ascenseur social à des coachs véreux qui, pour se faire de l’argent ou une réputation, sont prêts à les envoyer à l’abattoir sans aucun scrupule. Que ces jeunes sachent que le mérite est une reconnaissance qui passe par le travail, non par la remise sans préalable des diplômes et des grades qu’ils savent au fond d’eux ne pas mériter.

Aujourd’hui, le savoir est à la portée de tous, avec l’outil internet ils peuvent s’émanciper du diktat de ce type de coachs ou de maîtres.

Les arts martiaux ou les sports de combat ne sont pas une secte où l’on doit allégeance à son instructeur, qu’ils soient intelligents et combatifs.

Tous ne pouvons être des ingénieurs, des professeurs d’université, des hommes politiques ou autres. Si le sport est leur chemin, qu’ils le fassent avec un sens de la responsabilité digne de ce nom, sur le ring ou le tatami les coups mortels ce sont eux qui les prendront pas ce coach ou ce maître qui voit en eux un moyen de rattrapage de ses échecs. C’est là une réalité sociologique dans l’environnement martial gabonais que je décris le cœur meurtri.

Ici, le potentiel meurt, de jeunes talents nous en avons à foison, ils ruissellent de partout et dans toutes les disciplines sportives mais leur fin est toujours triste entre autre, la prison ou la mort pour certains, l’oisiveté, la drogue et les alcools pour d’autres et beaucoup d’entre eux sont trompés par certains maîtres et coachs. Mon souci est aussi d’emmener tous ces jeunes à se prendre en mains, qu’ils se prennent en mains, ce n’est pas trop leur demander…

Merci pour cette interview et Chookdee pour tes projets !

Merci et Chokdee à vous aussi, amitiés du NakMuay !