LES GUERRIERS DE LA CAMPAGNE DE TANSUM

LES GUERRIERS DE LA CAMPAGNE DE TANSUM
by Serge TRÉFEU (2025)
Dans le cadre de la lutte commune contre la toxicomanie, la municipalité du village de Tansum, situé dans la province d’Ubon Ratchathani, au nord-est de la Thaïlande, organise régulièrement des spectacles de boxe. Un ring temporaire est alors monté sur une grande place, bordée de panneaux métalliques, faisant office de stadium à ciel ouvert.
Autour du ring central, des marchands ambulants installe leurs étals. L’ambiance est effervescente : on y trouve de tout, en abondance. Les stands regorgent de nourriture, notamment de généreuses brochettes de viandes et de poissons. Des ventilateurs de fortune, suspendus au-dessus des plats, agitent l’air chaud pour éloigner les insectes, tandis que les monceaux de brochettes s’alignent en files savoureuses.
Plus loin, les étals débordent de fruits exotiques aux couleurs éclatantes, éveillant l’appétit des passants. Certains marchands proposent même des insectes cuisinés — une spécialité locale très appréciée des habitants.
On trouve également des stands insolites où l’on vend des poissons combattants multicolores, enfermés dans de simples verres d’eau alignés sur des tables. Non loin de là, des lapins et des poules sont exposés dans des cages, suscitant la curiosité des enfants.
L’ambiance prend des airs de fête foraine : des stands de tir attirent les amateurs de précision, tandis que les jeux de pêche aux canards amusent les plus jeunes. Des trampolines géants bondissent sous les rires des enfants excités.

Ces shows de Muay Thai, organisés dans les campagnes thaïlandaises, ne sont pas de simples événements sportifs. Ce sont de véritables fêtes de village, rassemblant une foule dense et enthousiaste. Familles, jeunes et anciens se retrouvent dans cette atmosphère joyeuse et bruyante, où sport, culture et tradition se mêlent dans une effervescence populaire unique.
L’entrée pour assister aux combats de boxe n’est que de 140 bahts. Devant la caisse, tenue par deux jeunes femmes souriantes, un policier de la ville de Tansum contrôle les billets et régule la file des spectateurs.
Les familles affluent de toute la province d’Ubon Ratchathani, certaines venant de très loin. Elles arrivent en pick-up surchargés ou à scooter, souvent à plusieurs sur un seul véhicule.



Autour du ring, point de gradins ni de sièges pour le public, à l’exception d’un petit espace VIP équipé d’une dizaine de tables et de chaises. Les autres spectateurs s’installent simplement au sol, sur des nattes qu’ils déroulent avec soin.
Avant le début des combats, un orchestre local anime la scène avec des morceaux traditionnels de l’Isaan, cette région du nord-est riche en sonorités folkloriques. Les musiciens vont rythmer toute la soirée de leurs instruments typiques, plongeant les lieux dans une ambiance festive et chaleureuse.


Assis en cercle sur leurs nattes, les parents, frères, sœurs et amis s’affairent autour des jeunes boxeurs de leur équipe. Tout le matériel est étalé devant eux : les bandes pour protéger les mains, les rouleaux de scotch, l’huile chauffante naman muay, les shorts de combat.
Dans un coin, soigneusement posés, les objets les plus sacrés : le Prajead — un bracelet porte-bonheur — et le Mongkol, le bandeau traditionnel porté sur la tête. Pour les Nak Muay, la tête est la partie la plus vulnérable du corps, et le Mongkol est censé la protéger symboliquement lors de l’entrée sur le ring.
Les boxeurs, encore jeunes pour la plupart, se font bander les mains et masser énergiquement avec l’huile chauffante. Tout cela se déroule sous les regards curieux des spectateurs, qui passent en dégustant une brochette ou sirotant une boisson fraîche, dans une atmosphère à la fois familiale et électrique.




Les parieurs, figures incontournables de ces soirées, vont de team en team pour glaner des informations. Ils se renseignent sur l’état de forme des jeunes boxeurs, s’enquièrent des blessures, des rumeurs, des derniers entraînements.
Rapidement, les discussions s’enflamment : on compare, on débat, on tente de deviner qui rapportera gros. Les noms circulent, les cotes s’ajustent dans les esprits. L’ambiance devient tendue lorsque les avis divergent — les échanges deviennent alors vifs, parfois bruyants.
Beaucoup de ces parieurs louent de simples escabeaux en fer qui leur permettent de s’élever au-dessus de la foule. Debout sur ces perchoirs improvisés, ils peuvent crier et parier avec frénésie, en scrutant le ring d’un œil acéré.
Ici, pas de balance numérique comme dans les grandes arènes de Bangkok. La pesée est rudimentaire. Les deux adversaires sont simplement placés côte à côte. Les organisateurs les évaluent à l’œil : taille, gabarit, musculature. Si l’un paraît un peu plus lourd, cela importe peu. De toute façon, les combats sont décidés à l’avance, et chacun connaît approximativement le poids des boxeurs. Un ou deux kilos de différence ? Ce n’est qu’un détail. Le match aura lieu quoi qu’il arrive.
L’affiche du show annonce pas moins de 26 combats. Le premier coup de gong est prévu aux alentours de 21 h, et la soirée s’étirera bien au-delà de minuit.


Les enfants ouvriront la marche, disputant des combats de trois rounds de trois minutes. Les adolescents et les rares adultes combattront quant à eux sur cinq rounds, selon les règles traditionnelles du Muay Thai. Le nombre de jeunes participants surpasse largement celui des combattants adultes.
Autour du ring, les officiels prennent place : arbitres, juges et membres de l’organisation s’installent méthodiquement. Le speaker, également animateur de la soirée, fait monter la pression. Il harangue la foule, plaisante avec les habitués, prépare le public à l’excitation à venir. L’ambiance monte d’un cran, les spectateurs s’agitent : les combats sont sur le point de commencer.
Mais avant cela, un moment solennel s’impose. Le promoteur du show, accompagné des nombreux sponsors de l’événement, monte sur le ring. Ensemble, ils saluent le public, expriment leur gratitude, et souhaitent une excellente soirée à tous.
Puis, le silence s’installe. L’hymne national thaïlandais retentit dans les haut-parleurs. Immédiatement, toute la foule se lève, les visages sérieux, les mains au garde-à-vous. Ici, le respect des institutions n’est pas une option — c’est une règle sacrée à laquelle personne ne déroge.

Les boxeurs font leur entrée sur la scène, en face du ring central, traversant l’estrade au rythme d’une musique grandiose, digne des plus grands shows de Bangkok. Parfois, c’est même l’hymne emblématique du célèbre tournoi Thai Fight qui accompagne leur arrivée, ajoutant une touche solennelle et spectaculaire à ce moment.
Avant chaque combat, les combattants attendent leur tour, assis sur une simple chaise en plastique, postée sur le côté de l’estrade surélevée. Leurs corps sont enduits d’une huile chauffante, faisant ressortir la brillance de leurs muscles sous la lumière crue des puissants projecteurs.

Les affrontements sont intenses entre ces jeunes guerriers du ring. Certains débutent à peine, avec seulement quelques combats à leur actif, tandis que d’autres, plus aguerris, comptent déjà plus de cinquante affrontements dans les jambes. Chacun d’eux monte sur le ring avec le même objectif : tout donner. Car ici, ils combattent devant toute leur famille, venue en nombre pour les soutenir — et il n’est pas question de décevoir.

Au final, ce qui compte le plus, c’est d’avoir livré un beau combat. Gagner est une magnifique récompense, mais perdre avec les honneurs est tout aussi noble.




Les parieurs stimulent les jeunes guerriers depuis les abords du ring, criant, gesticulant, misant avec ferveur. Certains combattants, auteurs d’un grand match ayant permis à leurs supporters de remporter de belles sommes, peuvent recevoir une récompense inattendue : une liasse de billets glissée directement dans la bouche, ou mieux encore, une somptueuse chaîne en or passée autour du cou, en signe d’estime et d’admiration.

Sur le ring, tous les styles s’affrontent dans un Muay Thai pur et authentique. Le Muay Khao, axé sur la puissance des genoux, le Muay Mat, spécialisé dans les coups de poing, ou encore le Fimeuu, style technique et tactique, se croisent et se neutralisent dans des combats équilibrés, riches en suspense, qui électrisent le public.
Les combats féminins, bien que présents, restent rares ici, contrairement à ce qu’on peut observer dans la capitale. Sur 26 combats disputés lors de la soirée, seulement deux opposent des combattantes.







C’est souvent dans ce type de réunions de boxe rurales, modestes et ancrées dans la campagne thaïlandaise, que les jeunes boxeurs forgent leur expérience. Loin des projecteurs des grandes villes, ces rings de fortune deviennent le berceau de futures légendes. Ici naissent les graines de champions, ceux qui, peut-être un jour, fouleront les rings prestigieux des grands stadiums de Bangkok.
De nombreuses stars de la province d’Ubon Ratchathani ont suivi ce même chemin, gravissant un à un les échelons à force de sueur, de courage et de combats acharnés.
Parmi eux : Fasai Taweechai, élu meilleur boxeur de l’année 1970 ; Nungubon Sitlerchai, champion du Lumpinee dans quatre catégories différentes ; Orono Por Muangubon, champion du Lumpinee et meilleur boxeur de l’année 1994 ; Neungtrakarn Por Muang Ubon, devenu champion du monde ; Superlek Sor Isaan, également titré au Lumpinee ; Lamnamoon Sor Sumalee, quadruple champion du Lumpinee ; ou encore Posay Tweechai, champion du Rajadamnern.
Ces figures inspirent encore aujourd’hui les jeunes combattants, qui rêvent de suivre leurs pas, depuis les rings poussiéreux des campagnes jusqu’aux plus grandes arènes du royaume de Siam !










